Neuf solutions pour une médiation autour du Livre
Neuf solutions pour une médiation autour du Livre
Tous les acteurs de la ville se doivent être présents et c'est le rôle du médiateur culturel que de fédérer ces projets, ces idées et d'en proposer une synthèse qui permette réellement d'engager toute une politique autour du Livre.
Le métier de médiateur est fort vaste.
Pour cette raison, il me faut aborder ici ma conception de médiation culturelle autour du Livre, me basant sur ma propre expérience.
Depuis que j'exerce dans les métiers du Livre, j'ai toujours été frappé des fractures que ce dernier occasionnait.
Je vais partir de l'enfant car tout débute lors des premières années.
Entendre régulièrement en librairie Mon enfant n'aime pas lire me choquait à chaque redite. Qu'entend-on par cette phrase récurrente ? Tout simplement que l'enfant n'a pas été mis en relation avec la lecture d'une façon convenable.
Je ne me permettrai pas de jugement de valeur et encore moins d'accusations. Je ne cherche pas à savoir les raisons personnelles de ces drames. Car je suis persuadé que c'est réellement un drame que de se trouver confronté à l'écrit chaque jour et d'en éprouver une distance affective. Seulement, d'où que vienne cette difficulté, il y a des solutions. Je me fais le porte-parole des Shadoks à travers leur devise: S'il n'y a pas de solution c'est qu'il n'y a pas de problème. Et il y a problème. Problèmes. Comment peut-on penser qu'un enfant n'aime pas lire alors qu'il a dévoré la série complète des Harry Potter? Cela m'est arrivé plusieurs fois d'être confronté à cette situation. Il semble qu'une approche trop sérieuse de la lecture fait des ravages.
Ma première solution est de faire aimer lire.
Il y a également l'habitude. Comment un enfant peut-il avoir le goût de lire s'il ne voit pas de livres dans son entourage? L'objet est étranger. Et comme toute chose étrangère, cela effraie. Le rapport à l'étranger me pousse à dire que du racisme s'installe face au livre. Il est des enfants qui, n''étant entourés d'aucun ouvrage qui aiment lire. Je crois qu'il faut y voir soit une prise de conscience du manque, soit une certaine volonté de briser ce handicap.
Ma seconde solution est de supprimer ce manque.
Il existe également des idées préconçues sur la lecture. Ce n'est pas important, il vaut mieux avoir un travail manuel, tu trouveras du travail plus vite. Je me souviens bien des fois m'asseyant pour lire et certaines personnes de mon entourage me dire Mais, tu n'as rien à faire? Ce genre de remarque est fort culpabilisant et afin de ne pas décevoir, le jeune va ranger son livre. Quelquefois, cela mène à l'insulte; l'intellectuel est raillé comme un lèche-bottes, un fayot...
Ma troisième solution est de dénoncer ces idées reçues par des actes concrets.
Aujourd'hui, un pont d'or s'offre à nous. L'informatique, le Monstre Internet! Il y a quelques années l'on accusait les jeux vidéo. Maintenant, ce sont les jeux en ligne, Facebook, hier MSN. Nous sommes en plein règne de la stacose. Cette maladie fait des ravages. Après les psychoses, les névroses, la stacose. C't'à cause d'Internet, c't'à cause des jeux vidéo. On évitera de dire c't'à cause de la télé, c'est en déclin, mais c't'à cause de son portable, de sa tablette, de son ordinateur...
Ma quatrième solution sera d'amener un remède à cette maladie contagieuse.
Il en découle évidemment que les journées sont trop courtes, que nous n'avons qu'une vie et que celle-ci va de plus en plus vite. Je n'ai pas le temps de lire est je pense l'argument majeur aujourd'hui. Ce n'est pas neuf pourtant. Il y a bien longtemps que les journées durent 24 heures. Il faut arrêter de trouver des arguments afin de se déculpabiliser. Ne pas lire peut être un choix. Je le respecte. Cependant, je le regrette, non par souci d'évangélisation de la lecture mais comme un bonheur que d'aucun(e)s ne peuvent apprécier.
Ma cinquième solution sera de procéder à une mise à l'heure.
Après le temps, la distance. Nous savons tous que le carburant grève nos bourses. Aller à la bibliothèque, à la librairie, à une rencontre d'écrivain, tout cela nécessite avoir le temps d'y aller, ce fameux temps, et la possibilité matérielle d'accéder aux lieux de culture. Souvent ces lieux ne représentent qu'une vision austère du livre. Les images ancrées de ces espaces où le moindre bruit est synonyme de désordre fait fuir plus qu'elles n'attirent.
Ma sixième solution est de réduire le rapport son-lumière.
Il est une autre fracture terrible. Les enfants sont jeunes, les adultes sont plus vieux. Ils ne comprennent rien. Ce n'est pas un débat nouveau. Mais avec le développement des nouvelles technologies, cela prend une ampleur grandissante.
Ma septième solution sera de fusionner les âges.
On nous fait lire que des livres ennuyeux. Les programmes scolaires ne sont là que pour nous apprendre des choses qui ne nous serviront pas dans notre travail futur. Le souci est que le travail risque de s'éloigner de lui-même. Le livre est un élément essentiel de culture. Ce n'est pas un produit comme les autres. Je fais une réelle différence entre l'achat d'une boite de petits pois et celui d'un traité sur les poids et mesures. Lorsque je demande à un élève de me situer sur un atlas, le lac Titicaca, je sais que cela va l'amuser, je sens son désarroi. Et même si je lui dis, Voyons, ce n'est pas le Pérou, ce que je te demande, rien ne filtre.
Ma huitième solution est de faire rentrer la lumière de la culture.
Le livre est cher. Je sais, l'argent est le nerf de la guerre. Je comprends fort bien qu'entre un pain et un livre, le corps a ses raisons. Je pense cependant qu'il faut voir ce qu'est un livre. J'ai déjà souligné sa particularité et j'ajouterai que derrière celui-ci se cachent des gens qui, eux aussi aimeraient bien manger du pain. N'opposons pas les différentes catégories sociales. Regardons, soyons lucides devant nos priorités. Car il s'agit de priorités.
Ma neuvième solution est de favoriser l’accès au livre pour toutes et tous.
Tout ceci peut paraître utopique, voire électoral. Je n'ai aucune ambition politique, quoique...
Voici le premier sens de Politique en tant qu'adjectif dans le TLFi (Dictionnaire Trésor de la Langue Française informatisé):
« ... l'information a
pour nature et pour objet de faire participer l'individu à la vie sociale par la connaissance, afin de lui permettre d'y participer de manière plus lucide et plus consciente par l'action : à cet égard, elle est
essentiellement «politique », au sens plein du mot l'homme est un « animal politique » que son contenu soitpolitique stricto sensu,économique, religieux, scientifique, etc..., ou purement « événementiel »
(faits « divers » de tous ordres).
SALLERON,Comment informer, 1965, p.
10 »
De cette définition, je vais donc reprendre les solutions une à une.
Ma première solution est de faire aimer lire.
Il m’apparaît comme une évidence que l'enfant est désarmé face au choix des livres. Et pourtant, si vous donnez un livre à un bébé, vous voyez bien que les couleurs l'emporteront sur le noir et blanc. Il en est de même plus grand. Les éditeurs le savent qui adaptent leurs couvertures aux différents publics. L'attrait est à mon avis aussi important, si ce n'est plus, que la réclame. Donner un livre à un enfant sans lui expliquer son fonctionnement, c'est comme vouloir réparer sa voiture sans notion de mécanique. On peut y arriver, mais on peut également tomber en panne. Tout le monde ne maîtrise pas la mécanique et idem pour la lecture. Favorisons les échanges. Il est grand nombre d'adultes, mais aussi de jeunes qui aiment lire et en adaptant les lieux, les rythmes, les choix, tout est possible. Lors de nos cafés littéraires itinérants, nous avons de jeunes enfants qui lisent. Ils lisent Sempé, mais aussi des phrases de Cioran ou de Mathieu Simonet et cela ne les effraie pas, bien au contraire! Ils sont fiers d'eux et ils ont raison. Arrêtons de stigmatiser les jeunes. Une période est plus difficile, celle de l'adonaissance de 10 à 12 ans environ. F. de Singly dans son livre L'adonaissance (Armand Colin) nous dit: L'adonaissance, ce n'est ni la rupture du lien de filiation, ni le maintien de cette identité dominante. C'est un temps pendant lequel le jeune cherche ses marques, plus générationnelles que personnelles afin de se prouver et de prouver aux autres que son identité ne se réduit pas à son appartenance familiale. C'est justement le moment où nous devons les responsabiliser. N'ayons pas peur et avançons avec confiance. J'aime l'humour, les jeux de mots et j'en joue avec les enfants et ils adorent. Soyons sérieux sans nous prendre au sérieux.
Ma seconde solution est de supprimer ce manque.
J'hallucine! Lorsque je vais dans les vide-greniers, les solderies... le nombre incalculable de livres qui sont jetés, il n'y a pas d'autre mot, à la vente sauvage. Cela ne donne pas envie de les acheter et encore moins de les lire par la suite. Il existe cependant des expériences qui durent dans différents lieux à travers le Monde. Déposer des livres à un endroit et les ramener lorsqu'ils sont lus est pratique courante dans certaines villes. Il est possible d'aller dans les bibliothèques et médiathèques. J'aime ces lieux non-marchands qui s'ouvrent de plus en plus à la diversité culturelle. Pour ma part, je n'irai jamais dans une de celle-ci si l'entrée était payante. Je trouve cela scandaleux! Favorisons l'accès à des espaces de proximité comme au Havre où des commerçants disposent de lieux spécifiques pour cela. Désacraliser le livre, le rendre à ce qu'il est. Le contenu avant le contenant. Même si je préfère lire LeVoyage au bout de la nuit de Céline en Futuropolis illustré par Tardi qu'en Folio, j'ai acheté plusieurs fois Paroles de Prévert en Folio (il est des livres que j'aime également partager). Il est inadmissible dans notre société de surconsommation que nous ne puissions accéder aux livres.
Je ne peux m'empêcher de parler des librairies. Ces lieux qui devraient être dédiés à la culture et sont si souvent de pâles copies de leurs concurrents. J'y rentre régulièrement, et ressors souvent dépité. Si peu d'imagination et juste vendre. Je ne parle pas, bien évidemment des vraies librairies, là où l'on n'a pas biffé sur le contrat de travail le mot libraire afin de le remplacer par celui de vendeur. Ainsi, s'il manque du personnel au rayon multimédia, il (elle) fera l'affaire. Non, je parle des libraires qui lisent, qui conseillent, qui font des choix, ceux-là, nous en avons besoin. Respect à vous.
Ma troisième solution est de dénoncer ces idées reçues par des actes concrets.
Il est des actes qui portent leurs fruits. Je pense que l'opposition systématique ne fait que rarement avancer les choses. La liberté de chacun(e) se doit d'être respectée. Cela ne me gène aucunement que d'aucuns ne lisent pas, mais qu'ils critiquent celles et ceux qui lisent me révolte et m'insupporte. Quel mal notre propre lecture peut-elle générer? Il est une réponse que je puis affirmer. La lecture fait peur. Ce n'est pas un hasard si les dictatures commencent par censurer, puis brûler les écrits. Les religions ont également leur part de responsabilité. Lire fait peur car un peuple instruit est un peuple libre. Il est capable, en toute conscience, de décider. Alors, face à ce constat, se cacher pour lire? Non, s'afficher fièrement et expliquer que ce n'est pas parce que je serai plus instruit que j'écraserai l'autre. Don't be afraid...
Ma quatrième solution sera d'amener un remède à cette maladie contagieuse.
Il est facile de guérir de la stacose. Un constat qui surprend au premier abord mais qui est d'une telle évidence. Jamais nous n'avons lu autant!!!
Regardez autour de vous dans la rue, le nombre de personnes qui écrivent des textos (quand on écrit, on lit) et en reçoivent bien évidemment. Et partout, les ordinateurs. Que de la lecture. Voilà, facile le remède, nous avons les outils. La difficulté, c'est de s'en servir et nous savons bien que les règles d'orthographe, grammaire et conjugaison ne sont pas obligatoirement appliquées. Loin de là. Et si nous partions de ces outils. Déjà, certains établissements scolaires, collèges et lycées, travaillent autour de Twitter, développant ainsi la création de courtes phrases. Les m@p imaginées par Christian Jacomino sont des outils également ludiques. Ces moulins à paroles permettent de favoriser la mémorisation, développent la création et apportent les informations nécessaires à la compréhension d'un court texte. Il existe bien d'autres formes de jeux permettant de faire le chemin inverse de ce qui se fait aujourd'hui. Partir de l'acquis et le faire mûrir, le développer, l'envelopper de mots nouveaux, régler ainsi les maux du passé.
Ma cinquième solution sera de procéder à une mise à l'heure.
Remettons les pendules à l'heure. D'accord, le temps c'est de l'argent. Cependant, même si je n'ôte à personne le droit de procrastiner, en 24 heures il est tout de même possible de lire. Pour moi, c'est juste un choix. Mes journées sont fort remplies et je trouve toujours le temps pour lire. Il suffit juste que j'ai le bon livre. Je ne lis pas pareillement un essai, un roman, une revue ou une bande-dessinée. Chaque lieu a sa préférence. Je ne pars jamais sans un livre avec moi. Dans ma voiture également, j'ai de quoi bouquiner. Mes enfants seraient témoins de cette réalité qui à certains moments les amenaient à répondre D'accord, j'avais le temps, mais je ne l'ai pas pris.
Ma sixième solution est de réduire le rapport son-lumière.
Cette sixième solution est certainement la plus difficile à réaliser. Mais, je pense que sans elle, toutes les autres solutions s'écroulent. Les lieux. Combien ceux-ci sont essentiels. Nous avons vu l'implantation des grandes surfaces dans les périmètres urbains permettant de regrouper un un ensemble de commerces avec des lieux de stationnement gratuits. Si je vais à la bibliothèque, je suis obligé de payer mon horodateur ou limiter mon temps par un disque. Où alors, je n'ai pas de place pour me garer. Ou bien, je dois payer les transports en commun. L'argent ne doit pas être un frein pour l'accès à la culture. Il est des innovations fort intéressantes à ce jour d'espaces nommés tiers-lieux qui permettent de créer ou recréer un lien social. Il est important que tous ces lieux soient réfléchis afin que les personnes en situation de handicap y aient accès. Il est bon à ce niveau de bien définir la notion de handicap. Les structures d'accès sont à étudier pour tous les handicaps. La fracture numérique est également un handicap, tout comme l’illettrisme. Ces espaces doivent être envisagés d'une manière globale dans une politique de la ville, de la communauté urbaine... Il n'est pas possible à ce niveau de faire l'économie de la réflexion. Tous les acteurs de la ville se doivent être présents et c'est le rôle du médiateur culturel que de fédérer ces projets, ces idées et d'en proposer une synthèse qui permette réellement d'engager toute une politique autour du Livre. Pour le son, il est évident que lorsque vont se côtoyer des lectures de textes, des fab-labs et des étudiants rédigeant leur thèse, il va être nécessaire de trouver un juste milieu afin que chacun(e) y trouve son compte... de décibels.
Ma septième solution sera de fusionner les âges.
Continuons dans la même veine du lien social. S'il est un secteur où c'est facilement réalisable, c'est bien celui-ci. Transmettre son savoir fait partie de l'Être humain. Nous ne faisons que cela toute notre vie. Lorsque la lumière commence à faiblir, il faut se dépêcher et nous verrons tous un jour la lumière faiblir. Alors, partant de ce constat, que la lumière de nos ancêtres éclaire la vie de leurs petits-enfants est une gageure à ne pas rater.
Ma huitième solution est de faire rentrer la lumière de la culture.
Je continue sur la lumière. Les 3 salons du Livre que j'ai organisés se sont appelés Salons autour du Livre. Le livre est vecteur de l'ensemble du patrimoine. Nous devons nous servir de ce livre, matériel ou immatériel afin de continuer à préserver ce qui nous a été légué. Préserver ne veut pas dire enchâsser mais plutôt mettre en valeur. A travers la valorisation de notre patrimoine c'est l'Homme que nous valorisons.
Ma neuvième solution est de favoriser l’accès au livre pour toutes et tous.
Voilà un sujet bien épineux... Comment faire pour que nous puissions avoir un accès à la connaissance et ne pas mettre en route la fracture sociale? Le Domaine Public est évidemment en visée directe. Penser que sous prétexte que nous ne parlons pas tous Latin, certains textes seront payants est une abomination assortie d'un dédain suprême qui devrait faire honte à celles et ceux qui soutiennent ce genre d'accord. Je suis très heureux pour cela de participer au collectif de SavoirsCom1 qui lutte de toutes ces forces afin que nous puissions avoir un accès égalitaire aux documents du Domaine Public. Il est évident que tout cela a un coût et qu'il est nécessaire qu'une réflexion soit menée à ce propos. Le poids des industries culturelles ne doit pas faire pencher la balance du côté du profit, là est toute la bataille.
Voilà, mes neuf solutions pour faire du neuf.
Je n'invente rien, je suis juste à l'écoute.
Pascal Cottin